La céramique avec un grand C

Marie Brisart tourne, cuit et émaille au son des joyeux cris d’enfants de l’école jouxtant son atelier hennuyer. Un rituel devenu quotidien pour cette maman de trois enfants qui a choisi de faire de la poterie son métier. Les bols, assiettes et autres tasses qu’elle crée de ses mains séduisent autant les particuliers en quête d’une vaisselle singulière que les restaurateurs en vue. 

Quels sont vos premiers souvenirs liés à la poterie ? 

« Cela remonte à bien longtemps… Mes parents m’ont inscrite à un cours de céramique à l’Académie des Beaux-Arts de Watermael-Boitsfort à l’âge de six ans. La toute première pièce que j’ai réalisée était une petite assiette. Le contact avec la terre, la sécheresse des mains après le cours, l’ambiance poussiéreuse, la chaleur dégagée par le gigantesque four de l’atelier : je garde de merveilleux souvenirs de cette période d’apprentissage. Je n’ai jamais cessé de travailler la terre depuis cette époque mais je n’ai réalisé que récemment qu’il s’agissait de ma voie professionnelle. » 

A quel moment avez-vous compris que ce métier était fait pour vous ? 

« Cela a pris du temps. Après des études en arts plastiques et en anthropologie, qui ont éveillé chez moi un vif intérêt pour l’esthétisme et la question de la culture matérielle, j’ai travaillé dans l’enseignement et le monde associatif. Un détour professionnel peu fructueux qui m’a permis de me rendre compte que j’avais besoin d’exercer une activité professionnelle qui m’appartienne davantage et qui ait du sens par rapport à mon vécu. Le travail de la terre, cette matière qui m’avait tant inspirée enfant, m’est alors revenue comme une évidence. »

Vous privilégiez la technique du tour. Pour quelle raison ?  

« Parce que celle-ci exige discipline, rigueur et assiduité tout en permettant de concevoir des pièces régulières et légères. Dans le mouvement répétitif et cyclique du tour, j’ai rapidement trouvé une possibilité d’avancer sur mes réflexions personnelles, parfois douloureuses. » 

Quels types de pièces produisez-vous ? 

« Je réalise essentiellement des pièces utilitaires et décoratives en grès, un matériau rustique résistant aux éraflures et imperméable à l’eau. J’ai fait le choix de m’orienter vers la maîtrise du geste plutôt que dans l’expression créative ou artistique. Mon souhait est de concevoir des assiettes, des bols ou des tasses qui vont visuellement et pratiquement satisfaire les personnes qui les utilisent au quotidien. Au fond, c’est peut-être ça le travail de l’artisan : s’ouvrir au monde et tenter de comprendre les habitudes de vie des gens pour pouvoir réaliser des pièces à la fois utiles et esthétiques. En concevant des poteries utilitaires, j’ai le sentiment d’inscrire mon travail dans une tradition et une culture, ce qui est très gratifiant à mes yeux. »

Pour exercer ce métier, il faut faire preuve d’un certain nombre de qualités. Quelles sont celles qui vous paraissent fondamentales ? 

« Incontestablement la discipline et la détermination au travail. L’idée attrayante et largement véhiculée de l’activité de potier comme occupation légère et distrayante n’est pas la réalité de l’artisan qui en fait son métier. Même si j’aime ce que je fais, je n’ai pas l’impression de m’amuser lorsque je travaille. Je m’impose chaque jour beaucoup de concentration et une grande régularité dans mon travail. »

Expliquez-nous le cheminement de la création d’une pièce en céramique… 

« Il faut compter cinq étapes de fabrication qui s’étalent sur une vingtaine de jours pour obtenir un produit fini. Après avoir préparé la terre, je centre une motte sur le plateau rotatif du tour de potier pour façonner ma pièce. S’ensuivent quelques jours de pré-séchage avant l’étape du tournassage. Celle-ci consiste à débarrasser le dessous de la pièce de ses imperfections et de l’éventuel excédent de terre. Elle sèche ensuite pendant dix jours puis subit une première cuisson à mille degrés. Elle est alors prête pour l’émaillage. Les émaux sont réalisés par mes soins à partir de recettes rigoureuses afin d’assurer des propriétés alimentaires irréprochables à mes pièces. Après l’émaillage, la pièce est cuite à haute température et l’émail forme une sorte de couverte étanche plus ou moins colorée selon les recettes. Celle-ci protège la pièce et la rend plus utilisable. » 

Puisez-vous une part d’inspiration auprès d’autres céramistes ? 

« Oui, le travail de l’Autrichienne Lucie Rie, du Japonais Shinobu Hashimoto et de la Danoise Gertrud Vasegaard m’inspire beaucoup. Leurs pièces sobres et épurées sont le fruit d’un travail très méticuleux. Je trouve aussi l’inspiration dans les céramiques japonaises et dans une certaine époque prospère de l’école des métiers d’art de Maredsous.»

Pour qui concevez-vous vos pièces ?  

« Je travaille exclusivement à la commande, tant pour des particuliers en quête d’une vaisselle singulière que pour des restaurateurs, des designers et des fleuristes. Je propose toujours aux personnes qui me contactent de venir me rendre visite à l’atelier. Cela leur permet de découvrir mes créations en vrai mais aussi l’ensemble de la chaîne opératoire du travail. J’aime les entendre me parler des contenants dont ils rêvent et de l’utilité qu’ils souhaitent en faire. »

Avec qui avez-vous eu l’opportunité de collaborer et que retenez-vous de ces expériences ? 

« Le Bistro Racine, à Braine-le-Château, fut le premier établissement à me faire confiance. Lorsqu’il a reçu sa première étoile au Michelin en fin d’année 2017, j’ai eu l’impression d’avoir un peu contribué à la réussite d’une aventure. Cette collaboration m’a permis de découvrir le travail de la cuisinière et blogueuse Aline Gérard. Une rencontre assurément précieuse car elle a su mettre en valeur mon travail dans ses créations et m’a ouvert les portes du monde des jeunes restaurateurs bruxellois.  J’ai ainsi pu participer, de façon discrète, au lancement des restaurant Otäp, Holy Smoke ou le203. Ces collaborations étaient très gratifiantes. J’ai également travaillé avec Great Granola, une manufacture artisanale de granola et Little Green Box, une jeune entreprise wallonne de distribution de colis alimentaires, pour laquelle j’ai réalisé des bols. Sans trop savoir dans quel projet je m’embraque au départ, je suis à chaque fois ravie de ces rencontres enrichissantes et impressionnée par la qualité et l’audace de ces initiatives. J’ai le sentiment que ces collaborations me permettent à chaque fois de progresser et de sortir de ma zone de confort. C’est très porteur pour moi. »

Dans l’atelier de la céramiste Marie Brisart à Hennuyères.

Comment voyez-vous l’avenir dans ce domaine ? 

« J’aimerais continuer à concevoir des objets utilitaires et rester spécialisée dans la technique du tournage même si l’alliance avec la technique du moulage ou l’insertion de la vannerie dans mes pièces sont des options qui m’attirent. Développer un style encore plus personnel et établir des collaborations avec des artisans travaillant des matières comme le tissu ou le bois pour mettre au point des ensembles éclectiques, m’intéressent aussi. Si mon métier me satisfait beaucoup aujourd’hui, je regrette que notre société laisse si peu de place aux démarches culturelles et artistiques. Rares sont les artisans qui parviennent à vivre réellement de leur métier, même lorsqu’ils vendent leurs créations. Sans savoir réellement comment m’y prendre à ce stade, j’aimerais œuvrer  davantage à l’avenir à la transmission et à la préservation du savoir-faire de manière globale. Le point positif est que j’ai le sentiment qu’un changement socio-culturel est tout de même en train de se mettre en place. » 

Précédent
Précédent

Influences nordiques

Suivant
Suivant

Trois coins de nature à découvrir en Belgique